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En fait, les fourmis champignonnistes ne se nourrissent pas des bouts de végétaux qu'elles découpent et transportent dans leur nid. Ceux-ci servent de substrat au champignon qu'elles cultivent:
Leucoagaricus gongylophorus. Ce champignon croît en dégradant la cellulose que les fourmis sont incapables de digérer. En contrepartie, les fourmis se nourrissent de son mycélium.
Chez les fourmis
Atta, il y a deux classes d'ouvrières, les media et les minima. Les media découpent et transportent les bouts de feuille jusqu'au nid. Les minima prennent alors le relais. Légèrement plus petites que les media, ce sont elles qui nourrissent la colonie. Elles taillent les grands morceaux de feuille en petits lambeaux imprégnés de salive, transportés jusqu'aux chambres où croît le mycélium. La salive des media a des propriétés antibactériennes, ainsi seul le champignon peut se développer!
X 711. Certaines minima accompagnent les media jusqu'aux feuilles. Ce sont elles qui jouent les auto-stoppeuses sur le chemin du retour. On en trouve souvent deux ou trois sur un même morceau de feuille:
Mais pourquoi donc cette pratique de l'autostop?
X 712. Et bien, vous avez remarqué les impressionnants piquants qui ornent le thorax des media?
Ce sont un des moyens de défense des
Atta contre un de leurs plus terribles ennemis... une araignée? une mante religieuse? Non,
Pseudacteon, un minuscule moucheron de la famille des
Phoridae. Les femelles des 110 espèces recensées de
Pseudacteon sont des parasitoïdes pourvues d'un ovipositeur long et acéré. Ainsi armées, elles sont capables, en une fraction de seconde, de fondre sur une malheureuse fourmi, de lui percer l'abdomen au niveau d'une jointure et d' y déposer un œuf.
Quant aux minima auto-stoppeuses, elles essaient de contrer ces attaques aériennes au moyen de leurs puissantes mandibules et de jets d'acide formique. Les vapeurs d'acide formique agissent en outre comme un signal d'alerte, précipitant les soldats
Atta à la rescousse... Mais les femelles
Pseudacteon sp. sont elles aussi attirées en masse par l'acide formique, et les fourmis peuvent être rapidement débordées.
X 713. Heureusement pour elle, celle-ci a l'air de se porter comme un charme:
Les fourmis parasitées subissent un sort peu enviable. Une fois éclos, l'asticot du moucheron migre vers la tête. Il s'y développe en se nourrissant de l'hémolymphe, des muscles et du tissu nerveux de la fourmi, dont le comportement devient de plus en plus erratique.
Après quelques semaines le cerveau est entièrement dévoré. Avant d'entrer en pupaison, l'asticot secrète une enzyme lytique
qui détache la tête du reste du corps
, celui-ci poursuivant d'ailleurs généralement son chemin.
La tête protège alors la pupe durant les deux semaines que dure encore son développement. Enfin, l'enveloppe de la pupe se déchire et c'est un imago tout neuf qui émerge de la tête de la fourmi... par la bouche,
comme le montre cette photo
. Plutôt gore, non?
Sur ces considérations gastronomico-reproductivo-entomologiques, il est temps de rentrer à l'Albergue. Les bagages sont prêts depuis ce matin. Il n'y a plus qu'à les embarquer dans la voiture, et en route pour le dernier chapitre, celui du retour!
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