Nous n'avons pas eu droit à l'odeur d'ammoniaque, Romain, sans doute parce que les hirondelles n'étaient pas là pour contribuer fraîchement à la croissance de la couche de guano qui couvre le sol. Ce guano, parlons-en : il est, comme celui récolté de l'autre côté du Pacifique, très apprécié comme engrais, mais ici, il n'est exploité que partiellement. J'explique : pour donner aux cueilleurs de nids d'hirondelle une chance de survie en cas de chute, seule la couche superficielle du guano est récoltée.
Ah, et les nids d'hirondelle, parlons-en aussi : d'abord, ce ne sont pas des nids d'hirondelle mais des nids de martinet. Ensuite, ce ne sont pas des nids confectionnés avec des végétaux, des poils ou des plumes, mais avec la salive, ou plutôt le mucus présent dans la salive des susdits martinets. Ce mucus peut servir à l'édification du nid à l'exclusion de tout autre matériau, et produit alors des "nids blancs", plus prisés donc plus chers, ou être mélangé à des algues, des plumes, avec production de nids foncés, gris-noir, moins prisés donc moins chers..
Un nid blanc (photo d'Alibaba.com)
Incolore, le nid est également inodore et sans saveur. Alors pourquoi les soupes de nid d'hirondelle/martinet sont-elles si appréciées ? Eh bien, en grande partie pour des raisons médicales, bien sûr. Mais pas n'importe quelles raisons médicales, des raisons de médecine traditionnelle, lutte contre le vieillissement principalement.
Et la petite partie ? Le bling-bling ! Difficile à croire, en voyant la photo ci-dessus, on a du mal à associer ce truc blanc informe à une Rolex en or et diamants, à une Cadillac, un yacht, etc. Mais c'est que le nid d'hirondelle était apprécié des empereurs et princes chinois, qui allaient les faire chercher à des distances considérables et les payaient un prix qu'eux seuls pouvaient se permettre. Ajoutez la rareté, le raffinement supposé qu'il y aurait à goûter un aliment sans goût propre, et hop, tout chinois aisé se doit de régaler ses hôtes d'une soupe de nid de martinet ! L'Indonésie (dont la partie indonésienne de Bornéo, Kalimantan) est le principal "producteur" de nids, Hong-Kong est le principal importateur. Un kilogramme de nid blanc frais de qualité s'y négocie de 3 à 5000 $ US...
On comprend qu'il y ait des amateurs pour la "cueillette", s'pas ? La récolte des nids est encadrée, très encadrée, à Sabah, c'est même une activité "nationalisée". Il y'a deux ou trois récoltes par an, évidemment avant la ponte. Ainsi encadrée, les oiseaux devraient ne pas être mis en danger par ces spoliations répétées. Les espèces productrices, qui font partie de la famille des Apodidae, ici à Sabah,
Aerodramus fuciphagus et
Aerodramus maximus ne sont effectivement notées que comme LC, Least Concern, dans la liste rouge de l'IUCN. On nous a dit que, cueillette de nid ou pas, les martinets font un ou deux nids avant le nid "définitif" qui servira à la ponte, à la couvaison, et à l'élevage au nid des rejetons, élevage long d'une quarantaine de jours.